Je m'esquive assez tôt du boulot pour rejoindre Enid qui traînaille un peu au pub, en compagnie d'un de ses potes (un gentil garçon perdu en BTS Force de Vente...). Après l'avoir lâché au métro, on file chez elle récupérer un blouson plus chaud, puis on enchaîne directement à la tombée du soir avec un resto japonais un peu vide, un peu angoissant - surtout parce que je peux voir mon reflet dans la vitre lorsqu'Enid baisse la tête, mais peut-être aussi parce qu'on mange des trucs froids. Enfin, c'est plutôt bon, pas comme quand je me force à manger indien avec ma Blanche, alors que j'ai horreur de cette bouffe. En payant, on s'aperçoit qu'ils doivent être en fait plus chinois que japonais (...mais c'est parce qu'on est très fort).
Il fait nuit, le bus nous dépose juste devant le Frigo, y'a plus qu'à descendre un peu la rue pour rejoindre l'escalier. Ca ressemble un peu à un squatt tout taggué avec des cabanes-toilettes dans un coin, et entre ça et le dépotoir de l'autre côté, se trouvent deux entrées vers un bar et une salle de concert, qui se prolongent, en forme de voûte justement. Dans le bar, y'a malheureusement un peu toutes les têtes à claques qu'on croise d'habitude dans les concerts indés, et pas grand-monde à qui parler. On ressort un peu en attendant, Enid fait des appels aux matous vagabondant aux alentours. Je l'aime vraiment bien.
Entrés dans la salle, on est bien lové dans les fauteuils sur le côté. J'adore cet endroit. On reste encore un moment comme ça, la scène n'est pas encore installée et il est déjà plus de vingt-deux heures. Rachel Coe finit par débouler à l'intérieur, bientôt suivie par les autres membres des deux groupes, les bras pleins de matériel et d'instruments. Leur camionnette vient juste d'arriver. Encore plus hectic que la dernière fois, ils montent dare-dare le tout, s'accordent en catastrophe, puis un semblant de balance, puis le concert à proprement parler. C'est Crescent qui ouvre le bal : beaucoup de silences, et de mouvements au ralenti, dans cette musique qui dessine tour à tour des paysages de campagne désolés, et des atmosphères de chambrette aux murs blancs, portée par la voix atone et plaintive de Matt Jones - plus un grincement qu'un chant. Le répertoire est tiré principalement du dernier album, By the roads and the fields, et l'ensemble se révèle plus captivant encore, joué ici, les musiciens s'effaçant totalement derrière les morceaux, laissant les seules notes travailler notre imaginaire. Le set s'achève sur un long écho, tandis que tout le monde sur scène baisse la tête, affichant cet air serein - d'avoir mené le public à bon port.
Après un court entracte, c'est au tour de Movietone, annonçant timidement : "nous sommes...les mêmes gens que Crescent" ! On retrouve effectivement exactement les cinq mêmes personnes, mais attelées à des rôles différents. Par rapport à leur concert de Londres en octobre, on pourra noter qu'ils sont un peu moins nombreux, et que depuis leur concert de 98 sur la péniche 6/8, Matt Elliott de Third Eye Foundation n'est également plus présent... Jouent donc ce soir : Kate Wright, Rachel, les frères Jones et Chris Cole, lesquels intervertiront leurs instruments tout au long de la performance. Ca commence comme à Londres avec 1930's beach house, Kate me fait d'ailleurs un grand coucou de la tête sur ce morceau tout en chantant - ça fait plaisir. On se balance ensuite sur in Mexico avec Enid, mais pas collé hein (on n'est pas tarte à ce point-là). Ca joue d'une façon un peu plus carrée qu'avec Crescent jusqu'à useless landscape. Juste après, il se passe quelque chose d'assez singulier... Les gens commençaient à parler de plus en plus quand le groupe décide, pour nous remercier d'être venus les voir, de jouer dans le public. Ils descendent de l'estrade avec leurs instruments et se mettent à attaquer we rode on, au milieu de tout le monde, non amplifiés. Là, tout bascule dans la magie, on retient son souffle. Chaque oreille tendue vers la gorge de Kate, on croirait entendre de la musique qui nous parvient depuis une autre époque, depuis un autre endroit, un bord de mer. Le temps s'arrête. Enid la tête posée sur mon épaule. Kate finit seule le concert, assise sur les marches de l'estrade avec les deux morceaux qui ouvrent et ferment le dernier album.
Voilà, c'est fini.
Je vais vite dire bonjour à Kate, qui me tapote le bras avant de filer faire autre chose dehors. Sans trop traîner, on s'en va rejoindre l'arrêt de bus, puis on pousse un peu vers les quais en l'attendant, sur la bouche de sortie d'air chaud du métro. Ca fait du bien. Le bus nous ramène dans le treizième. On se fait encore taxer des clopes par un type louche, et on continue à se parler, tout en regagnant l'appartement...